"Description topographique et économique de la Mairie de Lignières"
(résumé du mémoire d'histoire du pasteur Charles-Daniel Vaucher, 1801)

   
  Créée en 1791, dirigée par des membres du patriciat local, la Société d'Emulation Patriotique de Neuchâtel a comme souci de faire connaître et de diffuser le progrès, les améliorations techniques devant nécessairement garantir le mieux être économique des populations. Dès 1793, la Société décide de primer la " description topographique et économique d'une juridiction " du pays, charge à l'auteur de décrire les lieux, la vie des habitants, l'état de la population, les cultures ainsi que, c'est le but ultime, les améliorations qu'on pourrait y apporter. De 1795 à 1840, une dizaine d'ouvrages, qui font appel à la géographie, à la démographie, à l'agriculture mais aussi à la morale, ont vu le jour.Publiée en 1801, la " Description topographique et économique de la Mairie de Ligniéres ", écrite par Charles-Daniel VAUCHER, se situe aux débuts de cette entreprise éditoriale. Il nous raconte Lignières, au tournant du XVIIIe-XIXe siècle, situé aux limites des souverainetés de Neuchâtel, de Berne et des terres de l'évêché de Bâle, " ensorte que l'arbre du moulin servoit de borne entre les trois Etats ".

C'est une mairie composée d'un seul village de trois rues autour desquelles s'assemblent quelques quatre-vingt maisons et où vivent 540 personnes. La population, dont l'essor démographique a déjà commencé, est encore fragile. Ainsi, Charles-Daniel VAUCHER craint-il encore une attaque de petite vérole, mais entre le moment où il écrit et celui où il publie, il prend le temps de nous informer que les enfants ont été vaccinés. A l'en croire, avec un certain succès puisque : " plusieurs pères et mères, impatiens de savoir à quoi s'en tenir sur les effets de la vaccine, avaient voulu que leurs enfans vaccinés fissent de fréquentes et longues visites à leurs camarades de la petite-vérole ".

En tant que pasteur, Ch.-D. VAUCHER nous parle en toute connaissance de cause de la situation particulière qu'il a connue au moment où il a été placé à la tête de sa paroisse, en 1790. Le pasteur de Lignières, comme les autres, est élu par ses pairs et agréé par le gouvernement neuchâtelois. Mais il doit franchir une étape de plus en allant se présenter aux autorités bernoises, qui elles aussi, doivent accepter sa nomination. C'est là l'ancienne trace de la dépendance de la paroisse de Lignières envers l'abbaye de Saint-Jean, à laquelle s'est substitué le gouvernement bernois après la Réforme.

La communauté est dirigée par deux gouverneurs élus chaque année, le risque étant que l'on pourrait se retrouver avec : " deux jeunes inexpérimentés, ou deux vieillards négligens, qui feront mal les affaires de la Communauté ". Les revenus semblent juste suffisants et on espère pouvoir éteindre la dette d'ici dix ans ; alors il sera temps de reconstruire une école car - on ne peut qu'être d'accord avec l'auteur - : " cent vingt ou cent trente enfans dans une seule chambre assez obscure et pour un seul régent [instituteur] ; cela ne peut pas aller ".

Mais c'est en parlant de l'agriculture que l'auteur se dévoile. Au moment où il écrit, il est établi à Lignières où il possède un champ de huit pauses, ainsi que quatre pièces de bétail. On entre alors au cœur de son discours - et des soucis de la Société d'Emulation Patriotique - : il s'agit de moderniser la vie rurale c'est-à-dire, premier obstacle à l'arrivée d'un nouveau mode de vie, de mettre fin à la libre circulation du bétail sur les terres. On fait des essais sur les terres de la communauté : les gens se déplacent pour admirer les rendements inespérés ainsi atteints. Ch.-D. VAUCHER se donne aussi comme exemple : cette année, qui n'a pas été extraordinaire, il a pu récolter du froment, de l'orge, des pommes de terres (le progrès !), pas moins de huit chars de foin, alors que les anciens propriétaires n'en tiraient, en tout et pour tout, que quatre chars. Dès lors, la conclusion s'impose: " Il ne faut donc pas être étonné si les granges de la Mairie de Lignières sont devenues, pour la plupart, trop petites (...) Mais que de difficultés à vaincre ! que de préjugés à détruire ! que de passions à réduire au silence ! " Ce premier pas étant franchi - des communautés voisines n'y sont pas encore : Nods vient à peine de commencer et à Diesse, il est question de s'y mettre - il faut continuer à progresser : assécher les marais, favoriser les céréales d'automne, continuer les défrichements.

Telle est la vie à Lignières à l'orée du XIXe siècles, décrite par un homme qui, acteur de ce qu'il décrit, sent qu'il est placé entre la tradition et la modernité.

Antoine Glaenzer, Historien
 
 
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